Yvon Poirier, actif à divers titres dans le RIPESS depuis 2004. Il est membre de plusieurs organisations au Québec et au Canada, dont le Réseau canadien de développement économique communautaire (RCDÉC), un des membres fondateurs du RIPESS en 2002.
NB, Ce texte à été publié dans L’économie sociale en mouvement, Éditions érès, 2022, pages 165 à 168
A l’origine du Réseau intercontinental de promotion de l’économie sociale solidaire (RIPESS), une première rencontre internationale à Lima au Pérou du 1er au 4 juillet 1997.
Depuis au moins une vingtaine d’années, un peu partout sur la planète, face aux ravages du la globalisation néolibérale galopante, accentuée après la chute de l’Union soviétique, soit par nécessité ou par conviction, des populations se sont mobilisées. Les ravages étaient grands. La délocalisation de la production vers des pays à bas salaires a entrainé la disparation de dizaines de millions d’emplois dans les pays dits développés pendant qu’un très grand nombre de pays en développement subissait les plans d’ajustement structurels (PAS) de la Banque mondiale, supprimant de larges pans du secteur public, y incluant des entreprises étatiques établies après les indépendances (pays africains). Ainsi, les écarts de richesse entre pays, et à l’intérieur des pays, se sont grandement accentués.
C’est dans ce contexte que plus de 325 personnes, d’Amérique latine, de l’Europe, d’Afrique et de l’Amérique du Nord se sont réunies à Lima afin de renforcer à la fois la résistance au néolibéralisme et pour promouvoir une autre approche de l’économie.
La Déclaration de Lima témoigne de la volonté de créer un mouvement afin de s’attaquer aux impacts du néolibéralisme et de mettre en avant une approche différente, l’économie solidaire. Voici un extrait très significatif, toujours autant d’actualité.
Nous, citoyens et citoyennes membres d’organisations populaires, paysannes et autochtones, de femmes, de jeunes, d’organisations syndicales, entrepreneuriales, coopératives, communautés de travail, micro entreprises, groupes d’Église, organisations non gouvernementales, groupes écologiques et technologiques, réseaux de développement, regroupements d’initiatives d’économie sociale et coalitions, provenant de trente-deux (32) pays et réunis à Lima, Pérou, du 1er au 4 juillet 1997, déclarons que:
1. Nous considérons être soumis à l’hégémonie d’un modèle de développement qui, aussi bien au Sud qu’au Nord, démontre ses limites, détruit la planète et produit pauvreté, exclusion sociale et politique, marginalisation d’un grand nombre et chômage. Nous considérons que ce modèle ne reconnaît pas un ensemble d’activités humaines indispensables pour la société et qu’il menace l’avenir de l’humanité.
C’est pourquoi, en réaction à cette situation, nous nous sommes engagés dans un processus de développement solidaire qui remet en question la conception réductrice et déterministe selon laquelle la réponse aux besoins de l’humanité dépend de la compétition sauvage sur le marché et de ses soi-disant « lois naturelles ». L’économie solidaire s’appuie sur la coopération, le partage et l’action collective. Elle place la personne humaine au centre du développement économique et social.
Il est important de constater que l’économie sociale se perçoit comme un des acteurs de l’économie solidaire, avec un ensemble d’autres organisations de la société civile, de la construction de cette alternative. Dans la conclusion de la Déclaration, l’engagement était pris de Construire dans chacun de nos pays des réseaux et de diffuser les résultats de cette rencontre de Globalisation de la solidarité.
Les étapes de la construction du RIPESS
Dans la décennie suivante la construction d’un réseau mondial, essentiel afin de réaliser cette vision, était devenu une question essentielle. Ainsi, lors d’une deuxième rencontre tenue à Québec en octobre 2001, la décision fut prise de pérenniser cette démarche en décidant d’organiser une troisième rencontre, à Dakar au Sénégal, en 2005.
Au cours de la réunion préparatoire en 2002 à Dakar les participants ont convenu que le moment était propice pour un réseau le Réseau intercontinental de promotion de l’économie sociale solidaire (RIPESS). Le choix d’intercontinental au lieu d’international a été un choix délibéré. D’une part, il s’agit d’une volonté ferme d’afficher une égalité, solidaire, entre réseaux dits du Nord et du Sud. Par cette décentralisation, le RIPESS affiche sa volonté de se lier aux acteurs et organisations du terrain.
L’autre aspect majeur est l’expression économie sociale solidaire. Lors de la rencontre de décembre 2002, des participants francophones proposèrent économie sociale et solidaire, une expression qui s’était développée en France dans la décennie précédente et qui avait était largement utilisée à la rencontre de Québec. Les délégués de l’Amérique latine proposèrent d’enlever le « et » afin de souligner que pour le RIPESS, l’économie doit être à la fois sociale (entreprises collectives) et solidaire, dans le sens adopté à Lima. Ainsi, pour le RIPESS, le sens donné à ESS est très proche du sens de l’économie solidaire de Lima.
Par la suite, après le succès de la rencontre de Dakar, une 4e rencontre s’est tenue au Luxembourg en avril 2009 et une 5ième, et dernière, rencontre continentale à Manille en octobre 2013. Pendant cette période, les réseaux continentaux se sont formalisés: Amérique du Nord en 2004, RIPESS LAC (Amérique Latine et Caraïbes) en 2005, le Réseau Africain de l’ESS en 2010, RIPESS Europe et ASEC (réseau Asie) en 2011. Pour les fins de la gouvernance du RIPESS, il y a également l’Océanie.
Pendant toute cette période, le RIPESS participa aux Forums sociaux mondiaux (FSM) à partir de Mumbai 2004 jusqu’à Montréal en 2016, ainsi qu’à des forums thématiques comme celui d’Économie transformatrice (FSMET) organisé par le RIPESS Europe à Barcelone en 2019 et 2020. Ces Forums ont été l’occasion de collaborer avec d’autres mouvements de la société civile comme les organisations paysannes telles que La Via Campesina, des syndicats, des organisations féministes, autochtones., etc.
Le RIPESS dans son rôle de plaidoyer auprès des instances de la gouvernance internationale
Conformément à sa mission de promotion de l’ESS, le RIPESS s’est assuré de saisir les opportunités afin de faire à l’international le plaidoyer en faveur de l’ESS.
Bien que quelques interactions avec des institutions internationales furent possibles dès les premières années du RIPESS, c’est la crise économique et sociale de 2008/2009 qui a créée l’opportunité de démontrer que l’ÉSS était une approche de l’économie qui permettait de créer des emplois, de passer de l’économie informelle à l’économie formelle, de répondre à des besoins non comblés par le marché ou l’état, tout en créant plus d’opportunités pour les femmes et les jeunes.
En 2009, le RIPESS était invité à des rencontres de l’Organisation internationale du travail (OIT), notamment à celle de Johannesburg en octobre 2009 sous le thème « L’économie sociale : la réponse Africaine à la crise globale ». Un des résultats concrets aura été la création de l’Académie ESS de l’OIT. La première rencontre de l’Académie s’est tenue à Turin en 2010. Depuis ce temps, onze autres éditions se sont tenues, dont la dernière au Portugal en décembre 2021. Le RIPESS a participé, de diverses manières, à ces rencontres. Dans la plupart des cas, ce sont les ministères du travail qui sont hôtes de ces rencontres. Ainsi, un grand nombre de fonctionnaires, chercheurs, membres de l’OIT, et acteurs de l’ESS des pays respectifs se sont approprié les notions fondamentales.
L’intérêt grandissant concernant l’ESS, notamment de la part des instances internationales de développement, s’est consolidée par la conférence Potentiel et limites de l’économie sociale et solidaire tenue du 6 au 8 mai 2013 à Genève. Lors de cette conférence, organisée par l’Institut de recherche des Nations Unies pour le développement social (UNRISD) en collaboration avec le Bureau international du travail (BIT), des chercheurs, praticiens, y inclus des membres du RIPESS, ont échangé dans la perspective de réduire l’impact des crises provoquées par un développement mondial inégalitaire
Cette conférence a impulsé la création du Groupe de travail inter-agences des Nations Unies sur l’Économie sociale et solidaire (UNTFSSE) le 30 septembre 2013. Ce groupe est composé de 18 institutions internationales ainsi que des observateurs d’organisations de l’ESS. Le RIPESS est membre depuis le début et y a participé assidûment pendant toutes ces années. La UNTFSSE, ses membres, ses observateurs et des chercheurs ont contribué à la production des nombreux documents de référence, des études de cas, ainsi qu’un grand nombre de documents de réflexion, qui renforcent l’ESS comme approche fondamentale pour atteindre les Objectifs de développement durable (ODD) de l’ONU.
Lors de la rencontre RIO+20 de juin 2012, le RIPESS avait décidé de faire des futurs ODD sa priorité de travail pour les années à venir. Déjà à cette occasion, lors du Sommet des Peuples, le RIPESS présentait des propositions concrètes. Comme le RIPESS collabore souvent avec maintes structures de la Société civile, il a activement participé aux consultations organisées par l’ONU auprès des organisations de la société civile mondiale. Ainsi, dans le rapport des consultations auprès de 120 OSC, l’ESS était retenue comme un des axes de développement. À l’occasion de la présentation de ce rapport, le RIPESS a été invité à prendre la parole lors d’une rencontre tenue au siège de l’ONU. De nouveau en 2014, le RIPESS était invité à l’ONU en tant que porte-parole du Groupe des ONG afin de présenter leur point de vue. Également à cette occasion, le RIPESS présent ses recommandations pour les futurs ODD. Fait significatif, plus de 500 organisations ont endossé les recommandations du RIPESS, en moins de dix jours. En 2015, à l’occasion de l’Assemblée Générale qui adoptait les ODD, un porte-parole du RIPESS était retenu comme un des 20 représentants de la société civile pour des sessions de dialogue avec les États. Dans les années suivantes, le RIPESS s’est fait un devoir de participer aux rencontres annuelles du Forum Politique de Haut Niveau (HLPF) qui se réunit à l’ONU afin d’évaluer la mise en œuvre des ODD.
Depuis 2016, le RIPESS promeut le projet d’amener l’ONU à adopter une résolution reconnaissant l’ESS, notamment afin de réaliser les ODD. La UNTFSSE porte le projet depuis 2017 et a produit divers documents, dont une version préliminaire d’une résolution, un argumentaire, etc. La pandémie a affecté l’avancement de ce projet pendant presque deux ans. Mais depuis quelques mois, plusieurs États signifient leur volonté de prendre en main le projet, pour 2022, sinon 2023. L’intérêt est encore plus grand qu’il y a quelques années car avec la pandémie, le monde s’est éloigné encore plus de l’atteinte des ODD.
La décision de l’Organisation internationale du travail (OIT) de retenir comme thème Le travail décent et l‘économie sociale et solidaire pour la Conférence internationale du travail de 2022 est un autre pas très significatif dans la reconnaissance internationale de l’ESS.
Depuis Lima en 1997, le RIPESS n’a pas dévié de sa mission fondamentale telle qu’élaborée il y a 25 ans. Depuis ce temps, des réseaux se sont créés, dans l’ensemble des continents, basés sur des réseaux et organisations dans les pays. Ainsi, le RIPESS a des membres dans plus de 70 pays.
Toutes les occasions ont été saisies pour travailler à la reconnaissance de cette alternative incontournable pour construire un monde qui réponde aux besoins des populations et de la planète et non pas du capital. Il faut persister car il y a une vraie urgence.