Comment l’Économie Social Solidaire (ESS) contribue a lutter contre le réchauffement climatique? Judith Hitchman, Présidente d’Urgenci, nous explique le rôle de l’Agriculture Soutenue par la Communauté et ses avantages pour atténuer notre impact sur le climat.
Écrit par Judith Hitchman, Présidente d’Urgenci
Le réchauffement climatique, ou crise climatique comme on l’appelle maintenant plus justement, est l’éléphant dans la pièce. Tout le monde sait qu’il est là mais agit comme s’il était invisible. Pourtant, c’est la menace la plus mortelle pour l’humanité et la vie sur terre. En septembre prochain, plusieurs événements mondiaux importants se dérouleront, du Sommet sur l’Action pour le Climat à la grève mondiale pour le climat du 20 au 27 septembre.
Malheureusement, lorsque vous travaillez en profondeur sur les objectifs de développement durable (ODD) au niveau de l’ONU, vous réalisez rapidement qu’ils sont construits sur un modèle de croissance inhérent qui continue à exploiter plus de réserves planétaires et de combustibles fossiles que notre planète ou notre climat ne peuvent en supporter. Et que les indicateurs existants ne peuvent pas être modifiés. Mais cela ne devrait pas nous empêcher d’agir sur le terrain !
Pourtant, bien que nous ayons probablement atteint le point de basculement où les dommages causés à notre climat sont devenus irréversibles, nous pouvons encore faire beaucoup pour en atténuer les impacts. Et en effet, nous devons traiter ces questions aussi rapidement que possible, avec des cadres juridiques au niveau des États et des autorités locales. Placer la responsabilité sur les consommateurs individuels n’est pas et ne peut pas fournir plus qu’un pansement sur l’hémorragie du changement climatique galopant.
Examinons donc certains des aspects où il pourrait être possible d’avoir un impact petit mais significatif pour atténuer les problèmes brûlants. Et ils brûlent en ce moment, de l’Amazonie à l’Arctique….
Les avantages de l’Agriculture Soutenue par la Communauté (ASC)
L’agriculture paysanne, la petite agriculture familiale, la pêche artisanale et les pratiques indigènes se combinent en agroécologie pour nous fournir une science, une pratique et un mouvement social qui inclut l’économie solidaire. Cela a été reconnu par l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) dans les 10 éléments de l’agroécologie. Et les chaînes alimentaires courtes/directes, en particulier l’Agriculture Soutenue par la Communauté (ASC), peuvent être placées en haut de la liste des relations entre les producteurs et les consommateurs pour construire des systèmes alimentaires territoriaux durables. Le modèle de l’ASC fonctionne sur la base d’un tandem de relations de solidarité directes et localisées entre les producteurs et les consommateurs, et repose sur le concept de partage des risques et des bénéfices.
En quoi l’ASC est-elle bénéfique pour le climat ? Tout d’abord, la pratique agro-écologique n’utilise aucun intrant chimique ou plastique (dans certains cas, ceci peut signifier une période de transition). Elle utilise des techniques telles que le paillage et les cultures de couverture ainsi que l’utilisation de fumier de bonne vieille école comme engrais. Et il est possible de lutter contre les insectes et les ravageurs par le biais de cultures d’accompagnement ou d’insecticides naturels produits à la ferme. Il n’y a donc pas de combustibles fossiles ni d’externalisation.
Il existe également un certain nombre de moyens de minimiser l’impact sur le sol, tels que l’absence de travail du sol ou l’utilisation de chevaux de trait pour labourer les champs. Encore une fois, il ne s’agit pas de combustibles fossiles. Dans le cas de la récolte, on fait aussi beaucoup à la main, comme dans le cas de Rupert Dunn, un merveilleux boulanger-paysan qui cultive ses propres céréales traditionnelles au Pays de Galles, et récolte les champs à la faux ! Dans la plupart des ASC, il y a aussi des journées agricoles où les membres de l’ASC viennent aider à la ferme. Mes petits-fils ont vite appris que ramasser des pommes de terre sur leur ASC était un travail difficile et éreintant. Ils ont maintenant une nouvelle idée du travail qui se fait dans la culture de la pomme de terre !
Comme le climat devient de plus en plus instable, il est essentiel d’utiliser des semences paysannes locales qui s’adaptent progressivement à ces changements. Elles ont de bien meilleures chances de résilience que les semences hybrides ou même les semences modifiées par la méthode de modification génétique GM- CRISPR vendues par les grandes sociétés semencières. Elles ont également une valeur nutritionnelle beaucoup plus élevée, à la fois sur le plan institutionnel et parce que le sol est sain, vivant et riche en micro-biomes. Ce qui mène à un micro-biome humain sain et à des gens en meilleure santé et plus heureux !
Sur le plan nutritionnel, le changement climatique est appelé à réduire sérieusement la valeur nutritionnelle des aliments. L’approche agro-écologique et l’arrivée rapide de la nourriture à la table permettent d’optimiser la valeur nutritionnelle. De nombreux légumes verts perdent 30% de leur valeur nutritive et des vitamines en particulier après les 3 premiers jours. Il est maintenant prouvé que les intrants chimiques (pesticides et fertilisants) causent plus de 20 % plus de cancers qu’un régime alimentaire composé d’aliments biologiques/agroécologiques. Imaginez donc si votre salade est cultivée dans le sud de l’Espagne, dans une ferme utilisant des intrants chimiques, et qu’elle a voyagé pendant plusieurs jours pour atteindre votre supermarché….
L’impacte de notre modèle actuel
La tendance mondiale est aussi le control de l’ensemble de la chaîne alimentaire par les entreprises alimentaires industrielles (les mêmes groupes que ceux qui possèdent les semences, les intrants, et les fermes possèdent aussi les entreprises de transformation alimentaire et les chaînes de supermarchés…). Malheureusement, les aliments transformés et les plats cuisinés » bon marché « , riches en matières grasses et en sucre, sont largement achetés par de nombreux consommateurs. Dans bien des cas, les gens ont oublié comment cuisiner, s’ils ont su le faire, ce qui est la norme pour beaucoup de jeunes générations.
Cela représente un quadruple danger : la destruction de l’environnement et le changement climatique par l’agriculture industrielle ; le mythe d’une alimentation « bon marché » basée sur l’exploitation de la main-d’œuvre et le manque de contenu nutritionnel réel de l’aliment (le rapport calories contre nutrition est un grave problème mondial) ; l’utilisation excessive de combustibles fossiles dans la transformation, le transport et le conditionnement excessif. Et enfin, le coût des soins de santé excessifs liés à l’obésité et aux maladies non transmissibles liés à une alimentation malsaine.
Cet article ne serait pas complet sans une certaine mention du changement climatique et de la gestion de nos rivières et océans. Les apports excessifs de produits chimiques dans les grandes fermes industrielles conventionnelles et le déversement de purin ont créé une situation très toxique pour bon nombre de nos rivières par l’écoulement dans les cours d’eau et les rivières, puis dans les océans. Et cela contribue à son tour à l’acidification de nos océans. Et tout comme les grandes fermes industrielles produisent de la viande et des légumes de mauvaise qualité, la pêche industrielle détruit les océans. Les pêcheurs artisanaux peuvent fournir du poisson frais aux communautés locales, et il existe un nombre croissant de pêcheries soutenues par la Communauté qui fonctionnent de la même manière que l’Agriculture Soutenue par la Communauté. Urgenci travaille actuellement au développement de cette activité.
En termes de systèmes alimentaires territoriaux durables, et en particulier l’ASC, il y a aussi une faible empreinte carbone concernant la livraison des produits des fermes aux consommateurs. Les points de livraison se trouvent souvent dans les écoles ou dans un café du quartier, de sorte que les parents peuvent facilement y accéder sans avoir à utiliser leur voiture plus souvent qu’ils ne le feraient déjà. Il est tout aussi courant que plusieurs producteurs livrent au même point, ce qui permet aux consommateurs de faire un » guichet unique » tout comme au supermarché. Sauf qu’il est beaucoup plus convivial !
L’importance des terres communales
Il y a également une tendance vers la remunicipalisation et la relocalisation des marchés publics : le passage à la production alimentaire locale et à la préparation des repas scolaires et aux marchés publics écologiques est une tendance émergente forte dans de nombreuses villes. Il peut même faire appel à des Fiducies de terres communautaires ou utiliser les terres municipales locales pour cultiver les aliments. La question foncière est en effet l’un des enjeux majeurs aujourd’hui dans la construction de systèmes alimentaires territoriaux durables et de liens ruraux urbains garantis. Les ceintures vertes doivent être préservées pour garantir la poursuite de la production alimentaire et l’accès à la terre pour les jeunes producteurs doit également être facilité.
Les Fiducies de terres communautaires sont l’un des principaux moyens d’y parvenir, de même que les fermes d’incubation et les écoles de formation sur le terrain en agroécologie de paysan à paysan. Les autorités locales ont un rôle vital à jouer pour faciliter ces aspects. Il existe une bonne politique en ce qui concerne les Directives volontaires de la FAO sur la gouvernance et la tenure des terres, des forêts et des pêches, ainsi que les Directives volontaires pour une pêche durable à petite échelle. De même, il existe un nombre croissant de coopératives dirigées par des agriculteurs et des consommateurs, et de nombreuses manifestations différentes d’un mouvement croissant de relocalisation de nos systèmes alimentaires et de lutte contre le changement climatique. Ce changement s’inscrit clairement dans le droit fil de nombreuses valeurs de l’économie solidaire, implique généralement une gouvernance participative et implique de plus en plus les autorités locales à différents niveaux. Différents mécanismes existent pour garantir l’accessibilité financière des personnes socialement exclues.
L’engagement envers l’ASC consiste à apprendre à utiliser votre part hebdomadaire et à cuisiner un peu différemment que si vous faites une liste de courses et allez au supermarché, mais c’est une aventure collective et généralement un retour à la façon dont nos grands-parents ont mangé et cuisiné. L’agriculture et la pêche soutenues par la communauté sont de loin le modèle le plus engagé, et la lutte pour se réapproprier notre système alimentaire à travers la souveraineté alimentaire et le droit à l’alimentation est au cœur du combat. Les droits humains sont indivisibles. Les droits de la Terre et le droit à une alimentation saine et nutritive sont étroitement liés et sont au cœur de notre lutte contre le changement climatique.
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