5 questions à Béatrice Alain, récemment nommée Directrice du Chantier de l’économie sociale, pour mieux comprendre la co-construction des politiques publiques et certaines spécificités de l’ES au Québec.
1/ Présentez-nous brièvement le Chantier
Le Chantier est né en 1999 du besoin de concertation des différents acteurs de la société civile et de l’économie sociale. Son propre nom signifie non seulement site de construction de l’ES mais aussi groupe de travail, pour tisser des liens stratégiques sur tout le territoire québécois. Nous nous considérons donc comme un mouvement autonome à but non lucratif qui, de par son ancrage dans la société civile soutient l’émergence, le développement et la consolidation de réseaux d’entreprise et d’organisations de l’ES dans un ensemble de secteurs de l’économie.
Le Chantier intervient également auprès du gouvernement depuis sa fondation pour l’inciter à mettre en place les politiques publiques favorables à l’ES.
2/ Comment s’est mis en place le processus de co-construction de politiques publiques sur l’ES, notamment pour la préparation de la loi cadre sur l’ES? Et quelle a été la contribution du Chantier?
L’histoire de l’économie sociale au Québec est celle des hommes et des femmes qui depuis plus de cent ans se mobilisent pour répondre aux défis de leur époque et aux besoins de leur milieu. La société civile au Québec est à l’origine de plusieurs des avancées de l’économie québécoise comme la mise en valeur des ressources naturelles, l’accès à la culture, la lutte à la pauvreté, la revitalisation des communautés, l’accès aux services de proximité, la protection de l’environnement et la rétention des jeunes dans les milieux ruraux.
La capacité de concertation des différents acteurs de l’ÉS donne au Chantier, une reconnaissance importante auprès des élus. Depuis sa fondation, le Chantier intervient constamment auprès du gouvernement pour l’inciter à mettre en place les politiques publiques favorables au développement de l’ÉS. C’est ainsi qu’un processus de co-construction de politiques publiques s’est implantées au Québec depuis plus de 20 ans entre la société civile et les gouvernements. Des politiques liées à la petite enfance, aux aînées et des programmes comme des fonds pour les entreprises d’économie sociale ont été ainsi mis sur pied.
De la même manière, par rapport à la loi en économie sociale, le Ministère des Affaires Municipales, Régionales et de l’Occupation du Territoire (MAMROT), responsable de l’élaboration du projet de loi, a mené une consultation auprès de ses partenaires de la société civile et des autres ministères, comme il se fait habituellement dans un tel processus.
La Commission sur l’aménagement du territoire, chargée officiellement du processus de consultation suite au dépôt du projet de loi, a recueilli les mémoires déposés par différents acteurs et a tenu des audiences avec les parties prenantes. Presque 40 mémoires ont été déposés, 20 groupes reçus et une seule voix dissidente, soit la Fédération des chambres de commerce.
Les pôles régionaux d’économie sociale ont participé à la rédaction de mémoires, la mobilisation, la consultation et l’audition en commission, jusqu’à l’adoption de la loi par l’Assemblée nationale.
Le Chantier de l’économie sociale et le Conseil québécois de la coopération et de la mutualité, les deux interlocuteurs privilégiés de la société civile reconnus selon la loi, ont participé activement au processus de rédaction de la loi et de mobilisation autour de celle-ci.
Dans la foulée de la préparation au dépôt d’un projet de loi sur l’économie sociale, le Chantier de l’économie sociale a mobilisé son conseil d’administration, qui regroupe des réseaux sectoriels, territoriaux, et autres mouvements sociaux proches de l’économie sociale et créé un comité ad- hoc (chercheurs, partenaires) pour examiner les questions importantes à traiter dans la loi et recueillir les points importants de ses membres.
C’est un défi quand les gouvernements changent, de maintenir les acquis. La loi et son plan d’action permettent de créer un dialogue formel avec le gouvernement, peu importe les changements de stratégies que peuvent engendrer les élections nationales.
3/ Quelles sont les grandes lignes de la loi de 2013 et de son plan d’action?
Très certainement, la première grande avancée a été de clarifier, de définir l’économie sociale. Maintenant, il n’y a plus d’ambiguïté et tout le monde reconnaît l’ES suivant les 6 principes de la loi. Ainsi, par exemple, les règles applicables à l’entreprise prévoient une gouvernance démocratique par les membres basée sur l’entrepreneuriat collectif et la loi ne s’applique pas aux entreprises privées qui se donnent une mission sociale telles que les «entreprises sociales ».
Globalement la loi a permis notamment de reconnaitre la contribution de l’ÉS au développement socioéconomique du Québec dans de nombreux secteurs d’activité et partout au Québec, d’établir le rôle du gouvernement en matière d’économie sociale; d’améliorer l’accès aux mesures et aux programmes de l’Administration ou encore de mettre en place un Plan d’action gouvernemental en économie sociale (PAGES), réalisé en Mai 2015.
Quant au plan d’action, les grandes lignes sont :
- Réaliser un portrait statistique
- Soutenir la capitalisation des entreprises
- Sensibiliser le secteur public à l’approvisionnement par le biais de l’ÉS
- Soutenir les Pôles d’économie sociale
- Soutenir l’entrepreneuriat collectif comme solution à la relève
- Répondre aux défis du vieillissement démographique
- Encourager l’insertion socioprofessionnelle
Contrairement à d’autres pays, il n’y a pas de ministre ou de Secrétaire d’État à l’économie sociale, elle est une des directions du Ministère de l’Économie. En somme, l’économie sociale n’est pas considérée comme marginale mais fait partie de la «vraie» économie.
4/ Le mouvement Desjardins et les coopératives agricoles sont deux piliers de l’économie sociale au Québec. Quel a été leurs cheminements et comment cela a contribué au développement de l’ES?
L’ES a émergé historiquement suite à des moments de crise. Au début du 20ème siècle puis en 1996, second moment de crise ou les québécois ont pris la voix du collectif pour trouver des solutions. La coopérative Desjardins et les coopératives agricoles, et plus globalement l’ESS ont émergé et se sont développées pour répondre, dans un contexte de crise, à des besoins spécifiques.
Toutes deux sont devenues d’importantes organisations, largement reconnues par le public et les institutions, et en ce sens, elles ont favorisé une meilleure reconnaissance de l’ES.
Ainsi, aujourd’hui, l’ES est loin d’être un secteur marginal. Elle représente environ 7000 entreprises, fournissant 212.000 emplois. Mais surtout elle représente déjà un nouveau mode de développement dans plus de 20 secteurs, tels que : le tourisme, la gestion des forêts, l’agriculture, les crèches, la culture, l’habitat, l’alimentation, les finances ou le transport. Au Québec, un emploi sur vingt est associé à l’ES.
5/ L’eco-système de L’ES au Québec se démarque par des principes collectifs très forts. Pouvez-vous nous en dire plus?
La société actuelle est trop complexe pour que les solutions soient trouvées depuis un gouvernement ou quelques cabinets de conseils. Les communautés ont toujours su apporter des solutions et pratiques pour affronter les problèmes qui les touchent et ainsi renforcer la cohésion sociale, la vitalité culturelle, la dignité humaine et la résilience communautaire.
Au delà des différentes terminologies qui s’associent plus ou moins directement à l’ES, il est essentiel de créer une identité commune, basée sur le local et la solidarité, pour rassembler les acteurs et répondre aux développements de nos collectivités.
Face à la logique individualiste du capitalisme, on voit de plus en plus de gens, notamment les jeunes, qui au lien de penser à monter leurs propres business ou travailler pour une multinationale, se tournent vers des coopératives de travail par exemple. Les bénéfices tirés reviennent aux membres et à la communauté, ce qui a souvent plus d’impact que les initiatives individuelles bien intentionnées.
Au chantier, on est attaché à promouvoir un modèle équilibré entre les pouvoirs publics, les organisations privées et la collectivité. Il est démontré que les sociétés sont plus résilientes quand elles sont bien équilibrées entre ces 3 piliers.
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